MORT - L’espérance religieuse , mort et résurrection

MORT - L’espérance religieuse , mort et résurrection
MORT - L’espérance religieuse , mort et résurrection

Le système formé par les notions de mort et de résurrection est de ceux qui structurent la conscience religieuse universelle, à tous les niveaux et dans les contextes socioculturels les plus différents; il est facile de montrer cette vaste extension par quelques exemples. Ces deux représentations conjointes présentent un certain nombre de caractères communs à tous les grands schèmes mythiques et religieux: c’est ainsi qu’elles sont rapportées à la fois à la biographie de la divinité, indéfiniment répétée dans le cycle liturgique, et à l’itinéraire spirituel et sacramentel du fidèle, qui a pour idéal de reproduire à son échelle les principales attitudes du dieu; c’est ainsi encore qu’elles résultent manifestement de la transposition de certains rythmes naturels essentiels. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, le christianisme est venu accomplir plus qu’abolir: la mort et la résurrection du Christ, inscrites une fois pour toutes dans l’histoire, mais réitérées rituellement chaque année et revécues mystiquement par l’âme chrétienne, récapitulent d’une certaine façon, prolongent et approfondissent la mort et la résurrection des dieux païens; sur ce point, saint Paul a établi le dogme avec une force et une netteté insurpassables; la tradition chrétienne ne pourra que répéter et exploiter son enseignement.

1. Une constante de la conscience religieuse

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’idée d’une mort définitive, qui met un point final irrémédiable aux espoirs et aux calculs, est une conquête relativement tardive du rationalisme pessimiste. Pour la conscience primitive, la mort n’est jamais sans lendemain, la survivance va de soi. Selon la plupart des historiens, la sépulture du défunt en position accroupie, très fréquente dès l’époque préhistorique, habituelle dans le rituel égyptien, était destinée à préparer une nouvelle naissance; le cadavre étant placé en terre dans la même attitude que l’embryon dans le ventre maternel, l’enterrement marquait le commencement de la vie nouvelle. De fait, chez beaucoup de peuples primitifs, l’enfant nouveau-né passe pour un mort qui revient: on lui donne le nom de son aïeul ou d’un autre individu récemment décédé, on place près de lui divers objets usuels ayant appartenu à un défunt, etc.

À plus forte raison, la mort des dieux et des héros n’est-elle que provisoire. L’existence du dieu sauveur, en particulier, se déroule selon un schéma déterminé: après être mort sous les coups de son ennemi, il est vengé et ressuscite; l’Osiris égyptien périt dans une embûche tendue par Seth ou par Typhon, mais son épouse Isis et son fils Horus recherchent ses restes dispersés, les réunissent et leur redonnent vie; en Grèce, son homologue est Dionysos-Zagreus: né d’une union illégitime de Zeus, l’enfant Dionysos encourt la haine d’Héra, qui le fait assassiner et mettre en pièces par les Titans; mais une autre divinité, Apollon ou Athéna, rassemble les membres suppliciés, et le jeune dieu reprend vie; la biographie d’Attis, également, comporte castration, mort et renaissance; on n’en finirait pas d’énumérer les dieux dont l’histoire est conforme à cet itinéraire.

Mais la consécution de la mort et de la résurrection ne figure pas seulement dans la légende; elle reparaît dans les cérémonies du culte et, parallèlement, dans la vie religieuse des adeptes. Chaque fois, comme la première fois, le deuil s’efface sans transition devant l’allégresse; ce renversement de l’affectivité s’exprime dans toutes les civilisations; ainsi chez les anciens Hébreux: «Ceux qui sèment dans les larmes moissonnent avec des cris de joie: il marche tout en pleurant, celui qui porte la semence des semailles, puis il revient avec des cris de joie, quand il porte ses gerbes» (Ps. CXXVI, 5-6). Tous les cultes comportent des rites de passage, et ce sont eux notamment qui intègrent une mort et une résurrection symboliques; dans ces rites de passage privilégiés qu’étaient en Grèce les initiations aux mystères, l’initié meurt et renaît à l’imitation du dieu; rien ne fera mieux comprendre ce phénomène qu’un texte du philosophe platonicien et romancier latin Apulée (IIe s. de notre ère) racontant une initiation aux mystères d’Isis: «L’acte même de l’initiation figure une mort volontaire et un salut obtenu par grâce. Les mortels qui, parvenus au terme de l’existence, foulent le seuil où finit la lumière, et à la condition que l’on puisse leur confier sans crainte les augustes secrets de la religion, la puissance de la déesse les attire à elle, les fait renaître en quelque sorte par l’effet de sa providence, et leur ouvre, en leur rendant la vie, une carrière nouvelle» (Les Métamorphoses , XI, 21).

2. Les analogies cosmiques

Avant d’être celles du dieu ou de l’homme, la mort et la résurrection marquent le rythme végétal: la nature meurt en hiver et renaît au printemps. C’est autour de quoi s’ordonnent les innombrables cultes de la végétation, dont celui de l’«arbre de Mai» est le plus connu; on observe dans divers folklores, souvent sous la forme des rites du carnaval, une séquence dans laquelle l’expulsion ou le meurtre de la Mort précède la venue du Printemps sous les traits d’un jeune arbre. Aussi n’est-il pas étonnant que de nombreux dieux (Adonis, Attis, Osiris...) dont la légende comporte mort et résurrection aient été fêtés en relation avec le déroulement annuel du cycle végétal. Comme l’a bien dit Alain, «sous tant de noms, d’Adonis, d’Osiris, de Dionysos, de Proserpine, qui sont la même chose que le Mai, la dame de Mai, Jacques le Vert, et tant d’autres dieux agrestes, il faut au temps des primevères célébrer la résurrection».

Peu avant ce «propos» sur la «Résurrection», Alain en tenait un sur «La Lune pascale», dans lequel il signalait, pour les rites et les théologies de la mort suivie de renaissance, une autre correspondance cosmique encore: «La Lune est par elle-même un signe de mort et de recommencement [...] La Lune en son croissant et décroissant représente toute croissance et décroissance.» De fait, à côté des justifications végétales, le mythe de la mort et de la résurrection du héros, qu’il s’appelle Osiris ou Attis, passe pour avoir son origine dans le cycle de la Lune qui décroît, meurt, disparaît, puis reparaît le troisième jour; on rapporte aux Indiens de Californie une formule qui ne laisse aucun doute sur la relation des deux ordres d’idées: «De même que la Lune meurt et revient à la vie, de même nous ressusciterons après la mort»; dans le même sens, sir James George Frazer a recueilli le mythe du «messager de la Lune»: «La Lune envoya ce message aux hommes: «De même que je meurs et revis, vous mourrez et vous revivrez.» Aussi bien les deux cycles, végétal et lunaire, ne sont-ils pas sans rapport entre eux; car on sait que la Lune passe pour exercer une influence toute-puissante sur la vie végétale: on plante à la jeune Lune, on récolte à la vieille Lune.

3. L’enseignement de saint Paul

Dans l’Ancien Testament, au Livre de Daniel (XII, 2), la résurrection est promise, non pas encore à tous les morts, mais à ceux d’entre eux qui n’ont pas reçu, de leur vivant, les rétributions, en bien ou en mal, dues à leurs actes. L’auteur du IIe Livre des Maccabées limite la résurrection aux justes; au moment d’être suppliciés par le tyran Antiochus, les plus jeunes frères Maccabées le menacent de la mort définitive, tandis qu’eux-mêmes crient leur espoir de la vie éternelle: «Misérable! tu nous ôtes la vie à présent, mais le Roi du monde nous ressuscitera, nous qui mourons pour la défense de Ses lois, et Il nous rappellera à la vie pour l’éternité [...] Mieux vaut mourir de la main des hommes avec l’espoir, donné par Dieu, d’être ressuscité par Lui; pour toi, en effet, il n’y aura pas de résurrection pour la vie» (II Macc., VII, 9-14).

Le témoignage du Nouveau Testament est infiniment plus positif. Il faudrait mentionner tous les textes concernant la résurrection de Jésus, qui, selon l’Évangile de Jean, dit de lui-même: «Je suis la Résurrection et la Vie: celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra» (Jean, XI, 25). Le Christ johannique prend soin de souligner, par souci didactique, l’analogie végétale de sa mort et de sa résurrection: «En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre n’y meurt pas, il demeure seul; s’il meurt, il rapporte beaucoup. Celui qui aime sa vie la perdra, et qui hait sa vie en ce monde la conservera pour la vie éternelle» (Jean, XII, 24-25).

Mais personne n’a fait plus que saint Paul pour l’élaboration des notions chrétiennes de la mort et de la résurrection. De tous les dogmes, c’était sans doute le plus difficile à faire passer dans les esprits païens auxquels Paul s’adressait en priorité; on le perçoit dans deux passages des Actes des apôtres: dans le premier (XVII, 32), Paul ayant terminé son célèbre discours d’Athènes par les mots de «résurrection des morts», on voit les auditeurs se moquer plus ou moins discrètement; une autre fois (XXVI, 24), il se fait taxer de folie par le procurateur romain Festus pour avoir tenu le même langage.

L’apport essentiel de saint Paul aura été de ne pas séparer la mort et la résurrection qui ont marqué l’existence de Jésus lui-même de celles qui informent la vie spirituelle de chaque chrétien, d’affirmer au contraire la solidarité de l’aspect sotériologique et de l’aspect eschatologique des deux notions; ainsi doit-on comprendre les oppositions pauliniennes de l’homme extérieur et de l’homme intérieur (II Cor., IV, 16), du vieil homme et de l’homme nouveau (Éph., IV, 22-24). Par le baptême, le chrétien meurt de la mort de Jésus et ressuscite de la résurrection de Jésus; l’identification mystique de Dieu et du fidèle ressort admirablement de ces lignes de l’Épître aux Romains, VI, 4-8: «Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême qui nous plonge en sa mort, afin que, comme le Christ a été ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions, nous aussi, d’une vie nouvelle. Car si nous sommes devenus un avec lui par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une semblable résurrection [...] Si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons bien que nous vivrons aussi avec lui.»

Ces thèmes sont repris et orchestrés mieux que nulle part ailleurs dans l’avant-dernier chapitre de la Ire Épître aux Corinthiens. Parmi les fidèles de Corinthe, certains niaient la résurrection des morts; peut-être suivaient-ils en cela l’exemple de la secte juive des Sadducéens, auxquels plusieurs passages du Nouveau Testament (Matth., XXII, 23; Marc, XII, 18; Luc, XX, 27; Actes, XXIII, 8) attribuent la même attitude; mais il est plus probable qu’ils partageaient à ce sujet les préventions du monde hellénique, où la tradition, pythagoricienne et platonicienne, avait accrédité la dévaluation du corps au bénéfice de l’âme seule; on a déjà vu saint Paul se heurter à cette mentalité dans son discours d’Athènes; on rencontrera bientôt chez les Pères de l’Église des échos du même conflit.

Saint Paul va combattre l’erreur de ces Corinthiens en partant de la résurrection du Christ; dans une argumentation en deux temps, il leur fera valoir, d’une part, que, si la résurrection des morts est impossible, il s’ensuit logiquement que Jésus n’est pas ressuscité, d’autre part, que, si Jésus est ressuscité, comme c’est effectivement le cas, on ne peut nier que ses fidèles aussi ressusciteront. La première partie du chapitre (versets 3 à 11) est donc employée à établir le fait de la résurrection du Christ; l’importance de ce texte vient de ce qu’il est, antérieurement aux Évangiles mêmes, le plus ancien témoignage de l’événement, dont il n’est séparé que par vingt-cinq ans environ. Paul rappelle qu’il ne fait que transmettre un enseignement qu’il a lui-même reçu (des membres des premières communautés chrétiennes, après sa conversion); il insiste sur le fait que la mort du Christ pour nos péchés et sa résurrection ont eu lieu «conformément aux Écritures» de l’Ancien Testament, ce qui s’explique par le souci des premiers prédicateurs de montrer dans la vie de Jésus l’accomplissement des prophéties juives. La démonstration employée par Paul consiste à faire état du témoignage direct de ceux à qui est apparu le Christ ressuscité. Se faisant gloire de sa médiocre prestance physique, Paul ajoute que le Christ lui est enfin apparu à lui-même «comme à l’avorton»; il s’agit de l’apparition sur le chemin de Damas, dont les Actes des apôtres offrent trois relations (IX, 1-8; XXII, 6-11; XXVI, 12-18).

Mais la résurrection du Christ implique nécessairement la possibilité et la réalité de la résurrection des morts; on ne peut affirmer ni nier l’une sans l’autre (versets 12 à 16): «Car si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n’est pas ressuscité.» Paul évoque les conséquences désespérantes qui en résulteraient (versets 17 à 19): toute la foi s’écroule, et «nous sommes les plus malheureux de tous les hommes». Mais, heureusement, le Christ est ressuscité; et tous les hommes, qui étaient morts collectivement dans la personne d’Adam, reprendront vie collectivement dans la personne de Jésus, «afin que Dieu soit tout en tous» (versets 20 à 28); on relèvera ici, de la façon la plus nette, l’identification mystique entre la mort et la résurrection du fidèle et la mort de la résurrection du Dieu.

Après des considérations peu claires sur la pratique des Corinthiens de se faire baptiser «pour les morts» et le rappel de ses propres épreuves, Paul en vient au mode de la résurrection des morts (versets 35 à 38). Sur cette question délicate qui échappe aux prises de l’expérience présente, il produit l’analogie tirée de la végétation, par où il rejoint un schème dont on a vu l’antiquité et l’universalité: «Ce que tu sèmes ne reprend pas vie qu’il ne meure auparavant. Et ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps qui sera un jour, mais un simple grain, de froment par exemple, ou de quelque autre céréale. À cette semence Dieu donne un corps selon qu’il l’a voulu, et à chaque semence un corps particulier»; entendons que le corps ressuscité ne sera pas plus identique au corps mortel que la plante ne l’est à la graine, mais se distinguera de lui comme l’épanouissement glorieux de l’infirmité corruptible. Paul rend ensuite la même idée au moyen de catégories empruntées au judaïsme hellénisé: «Semé corps psychique, on ressuscite corps spirituel»; c’est l’opposition classique entre la psyché , principe de la vie naturelle, et le pneuma ou Esprit divin, à laquelle Paul superpose la distinction entre le premier Adam, créé «âme vivante», et le Christ, «dernier Adam», constitué «esprit vivifiant»; et encore la dualité, judéo-hellénistique elle aussi, entre l’«homme terrestre» et l’«homme céleste». Enfin, le chapitre s’achève sur une notation de grande importance, que Paul présente comme un «mystère» ou un «secret» (c’est-à-dire comme le fruit d’une révélation personnelle, distinct de la tradition ordinaire): «Nous ne mourrons pas tous, mais tous nous serons transformés»; ceux qui ne mourront pas désignent ceux qui se trouveront vivre au moment de l’ultime avènement du Christ, et passeront directement, sans mourir, dans la condition des ressuscités; il n’est pas impossible que Paul, comme beaucoup de ses contemporains, se soit mis lui-même au nombre de ceux que la parousie trouverait vivants. Qu’elle soit dans son esprit proche ou lointaine, cette perspective de la résurrection incluse dans celle de Jésus lui arrache un célèbre cri de triomphe, qui résume tout le développement: «Ô mort, où est ta victoire? Ô mort, où est ton aiguillon?»

4. Le christianisme patristique

Après ce sommet constitué par l’enseignement paulinien, les Pères de l’Église ne pouvaient que gloser de leur mieux dans les nombreux traités qu’ils consacrent à la résurrection. Leurs textes ont néanmoins l’intérêt de montrer à quelles tendances de la pensée grecque s’opposait sur ce point le dogme chrétien. C’était, par exemple, à la doctrine de la métensomatose, selon laquelle l’âme humaine, seule immortelle, passerait après la mort dans un autre corps humain ou animal; on peut citer à cet égard une page d’un apologiste latin du début du IIIe siècle, Minucius Felix: «Pythagore et Platon, écrit-il, veulent qu’après dissolution des corps les âmes seules survivent éternellement et repassent plusieurs fois dans d’autres corps nouveaux. À cela ils ajoutent encore une autre déformation de la vérité, en disant que les âmes des hommes retourneraient dans les animaux domestiques, les oiseaux, les bêtes sauvages. Voilà une opinion vraiment indigne de la réflexion d’un philosophe et digne des invectives d’un mime. Mais [...] qui serait assez sot ou assez obtus pour oser nier que l’homme peut être de nouveau reconstitué par Dieu comme il a pu être façonné par lui une première fois?» (Octavius , XXXIV, 6-9).

Tertullien, contemporain de Minucius Felix, oppose comme lui la résurrection des corps à la métensomatose chère aux philosophes grecs; mais il en marque aussi la différence avec la vieille théorie hellénique du retour éternel ; contrairement à ce que certains, semble-t-il, imaginaient, la résurrection du corps est un hapax , une mutation qui surviendra une fois pour toutes et à jamais: «Faudra-t-il donc, dites-vous, toujours mourir et toujours renaître? Si le maître de toutes choses l’avait ainsi décidé, tu subirais, bon gré, mal gré, la loi de ta condition. Mais, de fait, il n’a décidé rien d’autre que ce qu’il a prédit [...] Alors donc, plus de mort nouvelle, plus de nouvelle résurrection! Mais nous serons ce que nous sommes maintenant, et nous ne changerons plus: les adorateurs de Dieu seront auprès de Dieu, revêtus de la substance propre de l’immortalité; les impies, au contraire, et ceux qui ne sont pas irréprochables devant Dieu, subiront la peine d’un feu également éternel» (Apologétique , XLVIII, 10-13). Au IIe siècle, le Syrien Tatien avait déjà mis en lumière le même aspect du dogme contre les mêmes adversaires, exactement contre les philosophes stoïciens, héritiers, sur ce point, des présocratiques: «Nous croyons à la résurrection future des corps, quand les temps seront accomplis. Non à la façon des stoïciens qui imaginent sans aucune utilité des cycles au bout desquels les mêmes renaissent toujours après avoir péri; mais, notre temps étant accompli, nous ressusciterons une seule fois et pour toujours, la résurrection devant réunir tous les hommes, et eux seuls, en vue du jugement» (Contre les Grecs , VI).

Au IIIe siècle, Origène marquera lui aussi la différence entre la résurrection chrétienne et le retour éternel des stoïciens: «À l’inverse, les gens du Portique soutiennent que le corps complètement putréfié revient à sa nature originelle, en vertu de leur théorie sur le retour à chaque période des êtres tout semblables; ils disent donc qu’il retrouve cette même première constitution qu’il avait avant d’être dissous, croyant l’établir par des raisons contraignantes» (Contre Celse , V, 23). Car saint Paul avait bien précisé que, tout en appartenant au même homme, le corps ressuscité n’est pas de même nature que le corps charnel; Origène reprend à sa façon la comparaison paulinienne du grain de froment qui, perdant en terre toute sa substance, conserve néanmoins un logos qui donnera naissance à une plante nouvelle: «Nous ne disons donc pas que le corps putréfié reviendra à sa nature originelle, pas plus que le grain de blé, une fois corrompu, ne revient à son état de grain de blé. Nous tenons que, comme du grain de blé se lève un épi, il y a aussi dans le corps un principe qui n’est pas soumis à la corruption, à partir duquel le corps surgit incorruptible» (Contre Celse , V).

La comparaison de la graine était trop naturelle, et, a-t-on vu, trop enracinée dans l’archéologie de l’homo religiosus , pour n’avoir pas été constamment reprise; on en trouve une expression intéressante dès les premières années du IIe siècle, sous la plume de saint Clément de Rome, proche successeur de saint Pierre: «Observons, mes bien-aimés, comment le Maître nous représente continuellement la future résurrection [...] Prenons les fruits. Comment et de quelle façon les semailles se font-elles? Le semeur sort pour jeter en terre les différentes semences; celles-ci, toutes sèches et nues, tombent dans le sol pour s’y résoudre; mais de leur dissolution même, la magnifique providence du Maître les fait lever à nouveau et l’unique graine se multiplie et porte fruit» (Épître aux Corinthiens , XXIV, 1-5). Dans le courant du même IIe siècle, saint Justin modifiera la comparaison et jugera, quant à lui, la résurrection moins incroyable que le développement, que nul pourtant ne conteste, du corps humain tout entier à partir d’une minuscule goutte de semence: «Vous n’auriez pas cru possible non plus que l’homme naquît de ce simple germe, et cependant vous voyez que c’est là son origine. De même, vous devez admettre que, dissous dans la terre et réduits à l’état de germes, les corps des hommes peuvent, au temps voulu, par l’ordre de Dieu, ressusciter et revêtir l’incorruptibilité» (Première Apologie , XIX, 3-4).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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